Les liens entre le Sexe et la Mort

Rafael Herrero nous propose un magnifique texte de réflexion sur les liens entre le sexe et la mort.

Halloween est certainement une période à la fois de peur et de joie pour de nombreuses personnes. En effet, au Mexique, le « Día de los Muertos » est un jour de joie et de rire où l’on regarde le mort droit dans les yeux. En tant que sexologue, à l’approche des festivités d’Halloween, je trouve qu’il est à la fois merveilleusement enfantin et scientifiquement enrichissant d’évaluer les liens inattendus, mais puissants, entre le sexe et la mort se cachant dans les ombres de la forêt interdite de l’esprit humain. Freud conviendrait du poids monstrueux des éléments hargneux de l’inconscient sur notre vie quotidienne, et s’il nous a bien fait comprendre que le sexe est au cœur de ce qui se passe au plus profond des donjons du château, il nous a également dit que “Si tu veux supporter la vie, prépare-toi à la mort” (1). Le sexe nous fait sentir vivants, et même si la dépression et l’anxiété peuvent diminuer le désir, l’excitation et le plaisir sexuels, le sexe est souvent un antidote auquel les êtres humains ont recours pour échapper aux griffes de l’anxiété et de la tristesse. Le sexe nous permet souvent de nous débarrasser des terrifiantes toiles d’araignée, de la poussière et des chaînes qui nous pèsent autant.

Bien que le deuil d’un être cher décédé puisse être à l’origine de la perte du désir, de l’excitation et du plaisir sexuels (ceci a fait l’objet de beaucoup d’études scientifiques et est facilement compréhensible), il est important de faire la lumière sur le contraire, à savoir que le sexe est, en effet, un puissant antidote à la mort.

Il peut être effrayant de considérer qu’ « Au moment où Éros rencontre Thanatos, une nouvelle dimension de la sexualité s’éveille chez le sujet, qui trouve dans l’acte limite de la mort la clé de l’expérience profonde et absolue du désir. » (2). Georges Bataille, philosophe français, qui a ébranlé l’ensemble des discours avec ses essaies sur l’érotisme, la mort et la transgression, a certainement effrayé plus d’un (3). Adrián Sapetti, médecin sexologue, président de la Sociedad Argentina de Sexualidad Humana, décédé en 2023, écrivit (en espagnol, bien sûr) l’article « Le sex et la mort : la mort et la petite mort » (4). Flavio Escribano, directeur de recherche pour la Fondation Ibéroaméricaine de la Connaissance et collaborateur de la Commission Européenne, dans son article « Eros et Tánatos », nous signale que les motivateurs intrinsèques et basiques de la peur de mourir et du besoin d’avoir des rapports sexuels ont une puissance impressionnante (5). Simon Wein, dans son excellent article de 2023, « Sex, an antidote to death » nous rappelle que les films de James Bond sont structurés autour de la mort et la sexualité (6).

Dans la publication de l’ISSM, Sexual Médecine Reviews, Daniel Watter, sexologue étatsunien, nous décrit en détail dans son article « Existential Issues in Sexual Medicine : The Relation Between Death and Anxiety and Hypersexuality » que l’activité sexuelle peut être déclenchée comme un antidote à la peur de la mort (7). La mort hante peut-être les sombres caves souterraines de l’esprit. Et l’individu a besoin de s’en échapper.

Watter soutient que le dévoilement de la cause d’un changement soudain dans l’activité sexuelle d’un individu (permettant au patient de donner un sens et une explication à son comportement) est un élément central de la thérapie sexologique, en particulier de la psychothérapie existentielle.

Irvin Yalom, psychiatre existentiel et professeur émérite de psychiatrie à l’université de Stanford, auteur des livres « Le Problème Spinoza », « Et Nietzsche A Pleuré » et « Mensonges sur le Divan », affirme que les préoccupations liées à la mort peuvent se manifester par des pensées et des comportements sexuels. Pour de nombreux individus, le sexe est perçu comme une force vitale et, par conséquent, s’oppose à la mort. C’est pourquoi le sexe peut neutraliser la terreur de notre propre existence.

Les Américains ont coutume de dire qu’il n’y a que deux certitudes dans la vie : la mort et les impôts. Les êtres humains font tout ce qu’ils peuvent pour y échapper. L’activité sexuelle et les plaisirs intenses qu’elle procure revigorent le sentiment d’être vivant. Plus prosaïquement, et pour ceux qui préfèrent raisonner en termes biologiques, tout le monde s’accorderait à dire que l’art de la procréation est l’arme la plus tranchante et sanglante pour s’attaquer aux forces destructrices de la mort. La tristesse est remplacée par la joie.

Dans son article, Watter décrit cinq cas cliniques où des individus des deux sexes, confrontés à la mortalité, où la fragilité de l’existence est mise en évidence, développent un changement dans leur sexualité habituelle, s’engageant souvent dans une hypersexualité et même dans un changement apparent d’orientation sexuelle. Nous voyons ici comment la mort peut pousser les êtres humains à un besoin désespéré de se sentir vivants.

C’est pourquoi je vous adresse ici mes vœux les plus joyeux pour Halloween. Que cette saison d’Halloween et ses spectres ténébreux et effrayants nous amènent à partager intensément les joies de la vie.

 

 

1.- Freud, S. Essais de psychanalyse.

2.- González-Molina, O. Le oscura búsqueda del placer: una aproximación a los caminos del Eros y el Thánatos en la historia del ojo de Georges Batatille. Contribuciones desde Cotepec, n° 24, jan-juin 2013, p. 15-27. Universidad Autónoma del Estado de México Toluca, México.

3.- Bataille, G. Les larmes d’Éros.

4.- Sapetti, A. Sexo y muerte: la muerte y la pequeña muerte. Sociedad Argentina de Sexualidad Humana. Vol.4, no. 1 (Nov.1990) p.77-83.

5.- Escribano, F. Eros y Thánatos. Otros perfiles en gamification. Gecon.es 2014.

6.- Wein, S. 2023. Sex, an antidote to death. Palliative and Supportive Care 21, 937-938.

7.- Watter DN. Existential Issues in Sexual Medicine: The Relation Between Death Anxiety and Hypersexuality. Sex Med Rev. 2018 Jan;6(1):3-10. doi: 10.1016/j.sxmr.2017.10.004.