Nathalie Dessaux, Rennes, France.
Résumé
Cet article se donne pour objectif l’examen des relations entre le fonctionnement sexuel des individus et leur style d’attachement à l’âge adulte. Il est un fait établi que la sexualité du couple est en interaction avec l’ajustement conjugal. Parmi les variables modératrices de la relation de couple, le style d’attachement développé au cours de l’enfance est un facteur majeur dans l’explication des attentes, perceptions et comportements des deux partenaires. Ainsi, chez les individus au style d’attachement insécure, certaines stratégies comportementales viennent-elles systématiquement faire obstruction à la satisfaction conjugale. Il a été récemment mis en évidence l’implication de ces mêmes stratégies d’activation du système d’attachement dans le fonctionnement sexuel des couples. Le développement de la sécurité du lien entre les deux partenaires semble donc être une perspective thérapeutique intéressante à développer dans les sexothérapies.
Mots clés : style d’attachement, couple, satisfaction sexuelle, comportement sexuel, ajustement conjugal, attachement anxieux, attachement évitant, dysfonction sexuelle.
English title: Attachment in the couple and sexual function
Abstract : The aim of this article is the examination of the relations between sexual functioning and adult attachment style. It is a well-known fact that sexuality in close relationship is in interaction with dyadic adjustment. Among the moderator variables found in relationships, early attachment bond is a major factor in the explanation of expectations, perceptions and behaviors of both partners. Therefore, in insecure attachment styles, some behavioral strategies are activated and result in marital dissatisfaction. The implication of these same strategies was recently highlighted in the sexual functioning of couples. The development of bond security between both partners seems to be an interesting therapeutic prospect to be developed in sex therapies.
Keywords : Attachment style, relationship, sexual satisfaction, sexual behavior, dyadic adjustment, anxious attachment, avoidant attachment, sexual dysfunction.
A l’occasion de la parution en ligne de la revue systématique de Stefanou et Mc Cabe (2012) sur les relations entre attachement adulte et fonction sexuelle, il m’est apparu important d’insérer une analyse de cet article dans une revue plus large des théories de l’attachement et de leur impact sur la relation de couple en général et sur la relation sexuelle en particulier.
La théorie de l’attachement est considérée comme un concept clé en psychologie. Père fondateur de cette théorie, le psychiatre anglais John Bowlby (1978) l’a décrit comme le produit de comportements ayant pour objet la recherche et le maintien de la proximité d’une personne spécifique. C’est un besoin social primaire et inné d’entrer en relation avec autrui. Afin de clarifier la façon dont ce système s’active, puis influence les relations de couple, nous décrirons d’abord son mode de constitution dans l’enfance.
Élaboration du style d’attachement dans l’enfance
Dans une perspective évolutionniste, l’attachement est une fonction adaptative de protection et d’exploration où la « figure d’attachement » (mère ou son substitut) constitue une base de sécurité pour l’enfant. Ce système comportemental, également présent chez les animaux, serait instinctif. Il se met progressivement en place durant les deux à trois premières années de vie de l’enfant.
Lorsque l’enfant se sent protégé et en sécurité, le système d’attachement est inactif ce qui permet à l’enfant d’activer le comportement d’exploration qui l’incite à s’ouvrir au monde extérieur. Cependant, la présence de menaces (symboliques ou réelles) et la perception de la figure d’attachement comme distante, non suffisamment disponible ou inattentive aux besoins de l’enfant, activent le système d’attachement. Une élève de Bowlby, Mary Ainsworth, a élaboré en 1969 une catégorisation des styles d’attachement chez l’enfant à partir d’une situation expérimentale (« the strange situation »).
Il s’agissait de développer un léger stress chez l’enfant en l’absence de sa mère. Puis on observait les réactions de l’enfant pendant son absence et à son retour. Les résultats de cette étude fondatrice ont ainsi décrit 4 styles d’attachement présents chez l’enfant, parmi lesquels on distingue les liens d’attachement sécures des liens insécures :
attachement sécure
avant le départ de la mère, l’enfant explore l’environnement, marque une certaine détresse à son départ et recherche sa proximité à son retour. L’enfant se sert de sa mère comme d’une base de sécurité. La relation parentale est constante, appropriée, accueillant demandes et expressions émotionnelles de l’enfant. L’enfant réalise qu’il mérite amour et affection.
attachement insécure
- anxieux-évitant : Pas de signe de détresse au départ de la mère ; ignorance des tentatives d’interaction à son retour. Il s’agit d’une ignorance active qui trahit une colère. Ce style d’attachement se développe lorsque les demandes de l’enfant sont accueillies avec agressivité, rejet ou indifférence. Il apprend que son expression émotionnelle n’a que des conséquences négatives et en conclut qu’il ne mérite aucun amour.
- anxieux-ambivalent : l’enfant est anxieux dès l’entrée, n’explore pas l’environnement, reste collé à sa mère ; manifeste une grande détresse à son départ ; résiste aux tentatives d’interaction à son retour et ne peut être consolé par sa mère. Ce style d’attachement apparaît lorsque les réactions parentales sont imprévisibles. L’enfant n’arrive pas à décoder le comportement de la mère, ne sait comment lui faire plaisir et en conclut qu’il ne mérite pas l’amour.
- désorganisé : l’enfant présente un mélange de comportements entre l’évitement et l’ambivalence. Ses comportements sont incomplets, l’expression des affects est mal dirigée. Il s’agit en général d’enfants victimes de maltraitance.
Au fil de ses interactions avec la figure d’attachement, l’enfant intériorise la relation et se forge un Modèle Interne Opérant (MIO) qui englobe ses perceptions de lui-même et les attentes de sa figure d’attachement. Ce MIO va servir de schéma cognitif pour ses relations futures. Sauf évènements de vie critiques (décès, maladies, ruptures, etc.), le MIO reste le même tout au long de la vie. C’était en tous cas le postulat de Bowlby qui déclarait que les formes d’attachement construits durant la petite enfance se maintiennent « du berceau jusqu’à la tombe ».
Le style d’attachement peut en fait changer avec le temps et devenir plus sécurisant si à travers les années, le type de relation que l’individu entretient avec les membres importants de son entourage change de façon significative. Mais dans la majorité des cas, les MIO tendent à se perpétuer et l’individu suscite chez les autres les comportements qu’il s’attend à trouver chez eux. Ainsi, d’après une étude longitudinale effectuée par Waters, Weinfield et Hamilton (2000), 70 % des adultes de classe moyenne présentent un type d’attachement similaire à celui qu’ils avaient à l’âge de 1 an.
L’attachement à l’âge adulte et son expression dans le couple
Hazan et Shaver (1987) ont utilisé la théorie de l’attachement afin de mieux comprendre les relations de couple chez les adultes. Alors que les parents sont le plus souvent les figures d’attachement pendant l’enfance, les partenaires amoureux deviennent les figures d’attachement à l’âge adulte dans la mesure où ils sont:
- la cible de la recherche de proximité
- une source de protection, de confort, de soutien et de soulagement des besoins
- une base sécurisante, qui encourage l’individu à poursuivre ses propres buts dans le contexte d’une relation de confiance
Ils ont par ailleurs suggéré que les relations amoureuses chez les adultes seraient caractérisées par l’interaction de trois systèmes comportementaux :
- le système d’attachement,
- le système sexuel
- le système de soin et d’attentions portées à l’autre (« caregiving »)
L’attachement constitue une caractéristique individuelle que chaque conjoint amène dans sa relation, avant même que les interactions ne débutent. De façon générale, chacun des conjoints agit en fonction du style d’attachement qu’il a développé pendant l’enfance. Le style d’attachement de chacun exerce une influence sur le fonctionnement du couple, en raison du fonctionnement en interaction des trois systèmes comportementaux présents dans les relations amoureuses. Un fonctionnement optimal de ces systèmes faciliterait la formation et le maintien de liens affectifs stables et satisfaisants alors qu’un mauvais fonctionnement mènerait à des tensions et à des conflits relationnels, une instabilité et une insatisfaction par rapport à la relation amoureuse (Fraley et Shaver, 2000 ; Miljkovitch, 2007).
Bartholomew et Horowitz (1991) ont ensuite établi que les orientations d’attachement sont définies en fonction de deux dimensions aux polarités opposées:
- le modèle de soi : pôle positif où la personne se perçoit comme étant digne d’être aimée et de recevoir de l’attention, et négatif, où la personne se perçoit indigne d’ être prise en considération par autrui.
- le modèle de l’autre : pôle positif, où les autres sont perçus comme disponibles et bienveillants, et pôle négatif où les autres sont perçus comme rejetants, distants et négligents.
Le croisement de ces deux dimensions aboutit alors à un modèle d’attachement amoureux en quatre catégories, issues des 4 modèles de l’enfance décrits par Aintsworth.
Selon ces auteurs, la distribution des styles rencontrés dans la population serait approximativement de 48% sécurisé, 20% préoccupé, 18% détaché et 14% craintif.
Deux dimensions indépendantes expliquent les différences individuelles dans le style d’attachement à l’âge adulte (Fraley & Waller, 1998):
- Anxiété face à l’abandon : renvoie à la représentation de soi en relation ; c’est le degré auquel l’individu s’inquiète et rumine la peur d’être abandonné ou rejeté par le partenaire
- Évitement de la proximité : se réfère à la représentation mentale de l’autre ; se manifeste par un inconfort envers l’intimité émotionnelle et la dépendance dans une relation. L’individu qui fait preuve d’évitement investit moins dans la relation et valorise l’indépendance psychologique et émotionnelle.
Il devient alors possible de caractériser la sécurité d’un lien d’attachement adulte en fonction de son positionnement sur ces deux dimensions :
- style d’attachement adulte sécure : individus montrant une anxiété et un évitement peu élevés.
- style d’attachement adulte insécure :
- attachement préoccupé ou anxieux : une anxiété élevée et un bas niveau d’évitement
- attachement détaché ou évitant : une anxiété basse et haut niveau d’évitement
- attachement craintif : hauts niveaux d’anxiété et d’évitement
(Fraley et Waller, 1998)
Il importe de souligner que les femmes tendent à présenter des niveaux d’anxiété d’abandon supérieurs aux hommes. Tout comme pour l’anxiété, l’évitement de la proximité suit le stéréotype de genre puisque les hommes présentent plus souvent un évitement élevé que les femmes. Selon ces stéréotypes, les hommes seraient plus encouragés à se montrer indépendants et peu vulnérables que les femmes (Brassard, Shaver et Lussier, 2007).
Un questionnaire mesurant l’attachement sur ces deux dimensions a été élaboré et validé par Brennan, Clark et Shaver (1998). Il s’agit de l’échelle « Experiences in Close Relationships » (ECR) élaborée à partir de l’ensemble des questionnaires existants sur l’attachement adulte. Cette échelle a ensuite été traduite et validée en langue Française par Lafontaine et Lussier en 2003 (Questionnaire sur les Expériences d’Attachement Amoureux – QEAA).
Combinaison des styles d’attachement entre partenaires
Les patrons d’appariement de ces styles au sein du couple sont corrélés à la satisfaction conjugale rapportée par les conjoints. Un certain nombre d’études a mis en évidence des patterns de fonctionnement au sein du couple en fonction de cet appariement (pour une présentation détaillée, voir Perron, 2011).
A titre d’exemple :
- Les couples où les deux conjoints sont de type sécurisé seraient les plus satisfaits.
- Les couples associant un partenaire sécurisé à un partenaire craintif se montreraient également plus satisfaits qu’une dyade détaché-craintif ou préoccupé-craintif.
- Les individus affichant des styles insécures vivent plus de ruptures ainsi que des relations conjugales plus courtes que les personnes de style sécurisé.
- Les couples où les deux partenaires sont insécures montrent une plus grande prévalence de la violence conjugale (Bond & Bond, 2004).
En fonction de leur style d’attachement, les conjoints pourront donc répondre de différentes façons aux attentes de l’autre. Cette dernière observation met bien en relief l’importance d’étudier la compatibilité des conjoints sur le plan de l’attachement. Il a en effet pu être mis en évidence que la relation de couple était l’une des conditions permettant l’évolution du MIO. L’association de partenaires sécure et insécure tend ainsi à faire évoluer le sentiment d’insécurité vers une plus grande sécurité (Miljkovitch et Cohin, 2007).
Delage et Coll. (2004) ont déterminé deux styles relationnels dans le couple :
- Le style relationnel sécure : les deux partenaires sont dans un attachement sécure l’un vis-à-vis de l’autre, ou bien, malgré l’insécurité de l’un d’entre eux, le couple parvient à un ajustement satisfaisant. Ces partenaires n’ont pas besoin d’activer leur système d’attachement et sont par conséquent suffisamment disponibles pour d’autres aspects de la relation conjugale.
- Le style relationnel insécure : l’un des partenaires ou les deux sont dans des attachements insécures et le couple ne parvient pas à procéder à des ajustements adaptatifs. Les carences affectives issues de l’enfance s’expriment alors à travers des comportements, et des cognitions spécifiques de ces attachements insécures.
Exemple : Dans un couple composé d’une femme anxieuse et d’un homme détaché, on pourra voir apparaître :
- des reproches de Madame sur le fait que Monsieur travaille trop, n’est jamais à la maison, au lieu d’exprimer son sentiment d’abandon et son besoin d’être avec lui.
- un sentiment d’insécurité face à cette colère chez Monsieur qui se manifestera par le silence et la fuite encore plus manifeste à l’extérieur.
Stratégies d’expression des styles d’attachement insécures
Mikulincer et Shaver (2003) ont récemment présenté un modèle spécifiant les conditions d’activation et le mode opératoire du système d’attachement adulte. Quand les figures d’attachement sont perçues comme disponibles et répondantes, le sentiment de sécurité est développé, ce qui favorise la formation de liens proches avec autrui. Cependant, si les figures d’attachement sont perçues comme indisponibles, ou présentes de manière inconstante, des stratégies secondaires sont activées pour faire face au sentiment d’insécurité. Elles se développent lorsque des doutes extrêmes apparaissent quant au soutien, à l’engagement et à la proximité du partenaire :
- Hyperactivation du système d’attachement : Les comportements d’attachement s’intensifient, renforçant les comportements « d’accrochage » ou d’agressivité pour obtenir l’attention et le soin. La personne va montrer des émotions intenses et se centrer sur ses propres besoins. Elle aura de la difficulté à recevoir l’information transmise par son conjoint. Cette stratégie concerne les individus au style anxieux ou préoccupé.
- Désactivation du système d’attachement : Tous les comportements visent à minimiser l’intimité et à éviter l’interdépendance. Ces individus inhibent leurs sentiments de vulnérabilité et leurs besoins de protection de manière à ne plus compter que sur eux-mêmes, mais de façon compulsive, ce que Bowlby a nommé compulsive self-reliance. Cette stratégie concerne les individus au style détaché.
Les individus craintifs vont présenter des comportements oscillant entre les deux types de stratégies : hyperactivation (démonstration d’émotions intenses) et désactivation (retrait).
Attachement et Sexualité
L’attachement n’est qu’un des liens du couple. En effet, on doit retenir aussi au sein du couple le lien sexuel et amoureux. Dans la rencontre amoureuse, l’attachement n’est pas en jeu. On est ici dans une relation basée sur la pulsion, centrée sur le désir. Lorsque le couple atteint une certaine stabilité et que chacun conçoit la relation comme durable, la répétition des schémas comportementaux entre les partenaires permet le développement du lien d’attachement, de telle sorte qu’attachement et libido se conjuguent étroitement (Delage et Coll., 2007).
Selon Mikulincer et Shaver (2007), l’attachement et le comportement sexuel sont deux systèmes pulsionnels centraux dans le comportement humain. La recherche empirique a démontré que ces deux systèmes sont en interaction, les styles d’attachement façonnant la manière dont les relations sexuelles sont vécues. Les dysfonctionnements du système sexuel reproduisent ceux déjà identifiés dans le système d’attachement, impliquant des stratégies hyperactivantes et désactivantes.
- L’hyperactivation sexuelle implique des tentatives actives pour encourager un partenaire à faire l’amour, en donnant à la sexualité du couple une valeur essentielle et fondamentale. L’hyperactivation sexuelle fait adopter une position d’hypervigilance face au rejet sexuel perçu.
- La désactivation sexuelle, a contrario, implique l’inhibition du désir sexuel, des attitudes d’évitement de la sexualité, la mise à distance du partenaire qui est intéressé par le sexe et l’inhibition de l’excitation sexuelle et de l’orgasme.
Revue de la littérature sur les liens entre attachement et sexualité
Réaffirmant l’importance d’un fonctionnement sexuel adéquat pour l’équilibre psychique des individus et soulignant la permanence épidémiologique des dysfonctionnements sexuels, Stefanou et Mc Cabe (2012) ont établi une revue de la littérature étudiant les liens entre styles d’attachement et sexualité. Il semble en effet essentiel pour ces auteures de valider de manière scientifique cette interaction des deux systèmes, pourtant depuis longtemps postulée par la psychanalyse et validée de manière empirique par les sexologues.
Malgré l’importance du lien entre style d’attachement et comportement sexuel, il existe peu de recherches dans ce domaine, bien qu’elles tendent à se développer ces dix dernières années. A partir d’une recherche sur des bases de données électroniques (PsychINFO, Scopus, PubMed, etc.), Stefanou et Mc Cabe ont identifié 827 études de langue anglaise mettant en lien ces deux thématiques. Dans un second temps, de nouveaux critères de sélection ont été appliqués :
- Inclusion : utilisation d’échantillons adultes d’hommes, de femmes, ou des deux sexes, chez lesquels était étudiée l’association entre l’attachement adulte et le fonctionnement sexuel (sur les seules dimensions de comportements sexuels – fréquence, désir ou expérience sexuelle -, de satisfaction sexuelle ou de dysfonctionnement sexuel).
- Exclusion : études d’autres aspects du comportement sexuel que ceux sélectionnés ; absence de distinction des différents styles d’attachement insécures. Ce second tri ne retint finalement que 15 études dont les caractéristiques sont les suivantes :
- âge des sujets : entre 20 et 45 ans en moyenne, avec des limites inférieures (15 ans au minimum) ou supérieures différentes selon les études
- origine ethnique : sujets caucasiens (blancs) en très large majorité
- genre : 6 études n’ont recruté que des sujets féminins
- vie de couple : parmi les 9 recherches étudiant des populations des deux sexes, seules 4 d’entre elles étudient des individus vivant ensemble ; la durée de vie de couple parmi ces 9 études est comprise entre 1 mois et 53 ans, mais 6 études n’ont pas évalué cette donnée.
- orientation sexuelle : 8 études ont uniquement recruté des sujets hétérosexuels, 3 études n’ont pas spécifié cette orientation et les 4 études restantes portent en majorité également sur des sujets hétérosexuels.
- taille des échantillons : entre 70 et 1999 personnes, dont 11 études avec un échantillon d’au moins 200 sujets.
- mesures : toutes les études ont utilisé des questionnaires d’auto-évaluation, tant pour la mesure des variables sexuelles que pour la mesure de l’attachement, basée sur la conceptualisation d’Hazan et Shaver (essentiellement via l’échelle ECR-Experiences in Close Relationships, le questionnaire élaboré par Brennan, Clark et Shaver en 1998).
- plan d’expérience : 13 recherches consistaient en des études transversales (observation à un moment donné) et 2 études opéraient des mesures longitudinales (observations répétées dans le temps) à travers la tenue d’un agenda quotidien dans la mesure de la fréquence sexuelle pendant une durée entre 7 et 42 jours.
Résultats
Les résultats indiqués se réfèrent à la revue de Stefanou et Mc Cabe, enrichie des apports spécifiques de Costa et Brody (2011) et Brassard, Shaver et Lussier (2007).
Les individus sécures sont les plus satisfaits de leur sexualité. Fidèles, ces individus manifestent respect et ouverture à l’intérieur des relations sexuelles, où la communication favorise le plaisir et l’intimité. Ils vivent ainsi plus d’émotions positives lors des interactions sexuelles. De façon générale, les styles d’attachement anxieux et évitant sont tous deux associés avec des expériences sexuelles moins satisfaisantes. Les modérateurs du lien entre attachement et sexualité sont le genre, l’attachement insécure, la satisfaction sexuelle et la communication sexuelle.
Les résultats liés au style d’attachement insécure :
Le recours aux stratégies d’hyperactivation ou de désactivation impactent de manière significative la sexualité, notamment via la fréquence des relations sexuelles.
- Les individus évitants seraient plus à l’aise dans les activités sexuelles sans engagement (rencontres sans lendemain) et éviteraient plutôt les relations sexuelles lorsqu’ils sont en couple, parce que les démonstrations d’affection pendant la sexualité leur sont difficiles. Ils auraient tendance à être plus infidèles et à vivre de façon inconfortable les manifestations de tendresse.
- Les individus anxieux évaluent la qualité de leur relation de couple en s’appuyant fortement sur leurs expériences sexuelles satisfaisantes, dans la mesure où celles-ci sont amalgamées avec le sentiment d’ être aimé et estimé, ce qui réduit temporairement les craintes de rejet. Par voie de conséquence, les expériences sexuelles décevantes sont vues comme des signes de désapprobation de la part du partenaire et suscitent des craintes d’abandon. Le rapport à la sexualité diffère toutefois en fonction du sexe. En effet, les femmes anxieuses auraient davantage de relations sexuelles dans le but de ne pas perdre l’autre ou pour lui faire plaisir, tandis que les hommes chercheraient plutôt la réassurance à travers l’acte sexuel, ce qui les amènerait parfois à insister sur ce plan auprès de leur partenaire.
- Les individus craintifs ont moins d’expériences sexuelles, sont plus susceptibles de souffrir de difficultés sexuelles et d’utiliser la coercition sexuelle. Toutefois, tenant compte de la présence d’une alternance entre l’anxiété d’abandon et l’évitement de l’intimité, il est possible de s’attendre à une alternance de comportements variant entre une promiscuité sexuelle et une inhibition.
Les résultats liés au genre :
- Les études sur la sexualité féminine ont mis en évidence qu’attachements anxieux et évitant sont associés à moins d’excitation sexuelle, et donc à une lubrification problématique, ainsi qu’à l’anorgasmie et à la douleur sexuelle. Cette association se réduit pour autant à la seule association avec l’attachement anxieux lorsque les sujets étudiés sont plus âgés et dans des relations de longue durée. On peut peut-être formuler l’hypothèse que les femmes de style évitant ont tendance à se séparer avant qu’elles n’atteignent la phase d’insatisfaction relationnelle et sexuelle extrême. Au contraire, les femmes au style d’attachement anxieux vont probablement rester dans des relations insatisfaisantes en raison de leurs craintes de séparation et l’abandon.
- l’attachement insécure chez la femme (anxieux comme évitant) est associé à une plus grande utilisation de vibromasseurs. Les femmes au style d’attachement anxieux montrent une fréquence plus élevée de relations sexuelles anales et d’orgasme obtenu par masturbation clitoridienne solitaire et une fréquence moins élevée d’orgasmes vaginaux (Costa et Brody, 2011).
- Les hommes insécures éprouvent plus de problèmes d’érection que les hommes sécures. Ces problèmes apparaissent essentiellement chez des individus évitants, ce qui laisse à penser qu’ils n’apparaissent peut-être pas pendant la masturbation.
Les résultats liés à l’interaction des styles d’attachement dans le couple :
Ces résultats sont essentiellement issus de l’étude de Brassard, Shaver et Lussier (2007), qui ont spécifiquement choisi des individus plus âgés que ceux choisis habituellement dans les études (à savoir des étudiants), de manière à être face à des sujets plus stables dans leur relation de couple :
- Combinaison de 2 partenaires anxieux : cette configuration est corrélée à une grande fréquence d’activités sexuelles.
- Combinaison d’attachements anxieux et évitant : un homme anxieux en couple avec une femme moins anxieuse implique une fréquence basse, ce qui tend à démontrer que les besoins de réassurance des hommes anxieux qui passent par la sexualité sont moins bien accueillis par les femmes qui ne partagent pas leur style d’attachement. L’évitement « habituel » de la sexualité des femmes qui privilégient leur rôle de mère est alors renforcé. Dans un couple où l’homme est anxieux et la femme évitante, cet évitement de la sexualité est encore plus important. Ces résultats sont également applicables dans la configuration inverse : les hommes évitants rapportent moins de relations sexuelles lorsqu’ils sont en couple avec une femme anxieuse. Une femme évitante rapporte très peu de fantasmes à l’égard de son partenaire et des fantasmes fréquents à propos de relations extra-conjugales.
- Combinaison de 2 partenaires évitants : la fréquence de relations sexuelles est très basse ; une femme évitante perçoit plus facilement l’évitement sexuel de son partenaire évitant que les autres femmes ; les difficultés sexuelles rapportées par les hommes évitants sont modérées par le style évitant de leur partenaire, vraisemblablement par la difficulté à développer la communication sexuelle.
Les limites de ces 15 études
- Le type et la variété d’instruments employés pour évaluer le fonctionnement sexuel rendent les interprétations difficiles.
- Les populations étudiées se limitent globalement aux hétérosexuels caucasiens en couple, ce qui rend les résultats difficilement généralisables à d’autres populations, par exemple homosexuelles ou d’origine ethnique différente.
- Le recours aux échelles d’auto-enregistrement peut occasionner une fiabilité limitée, dans la mesure où la désirabilité sociale et le biais de rappel sont souvent liés aux auto-évaluations (Brody et Costa, 2012, utilisant leur droit de réponse à cette étude, ont reprécisé avoir utilisé une mesure de désirabilité sociale qui n’a pas montré de significativité en corrélation avec les réponses de leurs sujets). Il eût été par ailleurs intéressant de procéder à une comparaison des réponses individuelles par des entretiens en couple, parfois plus informatifs que de simples questionnaires.
- Le lien entre la sexualité et le style d’attachement désorganisé ou craintif n’a été que très peu étudié (une seule étude, celle de Brassard, Shaver et Lussier, 2007).
- La sexualité masculine n’a pas été suffisamment étudiée dans ses liens avec le style d’attachement.
- 4 études seulement ont inclus les deux membres du couple dans leur recherche. Les résultats de l’ensemble des études s’appuient donc essentiellement sur des caractéristiques individuelles pour décrire une relation entièrement faite d’interactions. Il apparaît pourtant évident que la combinaisons des styles d’attachement peut impacter l’expérience sexuelle dans le couple, de même qu’il impacte le style relationnel (Delage, 2004).
Interventions thérapeutiques
Johnson et Greenberg (1985) ont développé une approche d’intervention en thérapie conjugale en s’inspirant grandement du modèle de l’attachement (EFT – Emotionally Focused Therapy ; TCE – Thérapie Centrée sur l’Émotion). Cette approche s’est constituée à la source de l’approche humaniste de Carl Rogers et de l’approche systémique de Minuchin. Selon ces auteurs, rechercher et maintenir une relation sécurisante avec un être aimé est un besoin fondamental pour chaque être humain. Les interactions et les comportements dysfonctionnels des conjoints cachent des émotions de base liées à des enjeux d’attachement. Les couples en difficultés sont emprisonnés dans une dynamique répétitive malsaine qui les sépare et où chacun se trouve en insécurité dans l’attachement à l’autre, rendant difficile l’expression des besoins affectifs et des désirs sexuels.
Le rôle du thérapeute EFT n’est pas de les aider à mieux communiquer, mais de les aider à construire un nouveau lien sécurisant où chacun se sent en confiance avec l’autre. Pour rétablir le lien d’attachement sécurisant, les spécialistes de l’EFT accordent une importance particulière à l’experiencing des émotions. L’experiencing est la capacité de la personne à prendre conscience de ses émotions et de ses sensations dans l’ici et le maintenant, de les ressentir, de les explorer, de les verbaliser et enfin de les symboliser par des actions ou des énonciations verbales (Couture-Lalande et Coll., 2007 – Lafontaine et Coll., 2008). Des applications spécifiques à la sexualité ont également été proposées (Johnson et Zuccarini, 2010).
En conclusion, la théorie de l’attachement adulte trouve des applications très riches en ce qui a trait à la compréhension et au traitement des difficultés conjugales. Elle a l’avantage de s’appuyer sur de nombreuses données empiriques et a vu se développer un modèle de thérapie qui gagnerait à être appliqué dans la prise en charge des couples. Cette grille de lecture apparaît par ailleurs comme particulièrement éclairante dans le fonctionnement sexuel des individus consultant un sexologue. L’ajustement dyadique comme préalable à tout fonctionnement sexuel adéquat vient encore une fois trouver là sa justification thérapeutique.
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