Analyse par le Dr André Corman, Toulouse, France
De l’article de SE Althof Psychological interventions for delayed ejaculation/orgasm par Althof SE International Journal of Impotence Research 2012 24, 131
L’éjaculation retardée (ER) est la moins courante, la moins étudiée et la moins comprise de toutes les dysfonctions sexuelles masculines. Dans cet article, l’auteur se propose de passer en revue les diverses théories psycho-sexologiques associées à l’ER et de dégager les principales stratégies psychothérapeutiques pouvant être utilisées dans le traitement de l’ER. Certes, que l’on se penche vers une revue de littérature ou vers l’expérience et le recul clinique, il est clair qu’aucune théorie ou thérapie ne peut à elle seule recouvrir les différents tableaux cliniques de l’ER. Dans ce sens, la démarche de l’auteur, qui consiste à recenser de façon exhaustive les différentes hypothèses psycho-sexologiques pouvant expliquer l’ER et d’y associer pour chacune les différentes stratégies thérapeutiques, donne un outil précieux au clinicien. Cette revue lui permet de mieux intégrer dans sa prise en charge de l’ER cette dimension psycho- sexologique et, par là même, de plus précisément discerner son utilisation effective.
Après avoir constaté la variabilité tant des termes pour désigner l’ER (anéjaculation, anorgasmie ou anéjaculation coïtale, éjaculation difficile ou retardée, dysfonction orgasmique masculine…) que des manifestations cliniques et circonstances de survenue (degré de sévérité, préliminaires ou coït seulement, avec telle ou telle partenaire…), l’auteur constate l’absence d’une définition consensuelle laissant moins parler la subjectivité du praticien et propose la réalisation d’un travail sur cette définition comme il avait été fait par l’ISSM pour l’éjaculation prématurée.
L’orientation vers une étiologie psychogène est d’ailleurs construite sur cette variabilité du symptôme. Tel homme éjacule facilement à la masturbation alors qu’il n’y arrive plus lors de toute pratique sexuelle avec sa partenaire. A contrario, une cause organique donne au symptôme une constance quelle que soit la stimulation sexuelle.
Un autre problème relevé par l’auteur tient à la mauvaise appréciation par de nombreux cliniciens de l’impact délétère de l’ER, nombre d’entre eux la percevant comme une chance de donner plusieurs orgasmes à la partenaire. En fait, on retrouve des niveaux élevés de souffrance relationnelle, d’insatisfaction sexuelle et d’anxiété de performance dans la population ER. Les partenaires finissent par se questionner sur leur attractivité ou désirabilité devant cette incapacité de l’homme à avoir un orgasme avec elles. Ce problème devient très aigue lors d’un désir de conception.Il est en fait possible de résumer cet article en deux tableaux.
S’agissant des différentes théories psycho-sexologiques pouvant être causes favorisantes d’ER, l’auteur en retient quatre principales que nous présentons dans le tableau 1.
Les stratégies thérapeutiques adaptées à chacune de ces théories sont présentées dans le tableau 2.
Tableau 1 : Différentes théories psycho-sexologiques pouvant expliquer l’ER
Th n°1 : Bancroft et Masters et Johnson (1),(2) | Th n°2 : Perelman (3),(4) |
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Stimulation/excitation sexuelle insuffisanteStimulation pénienne, physique ou mentale déficitaire Souvent associée à l’age N’atteint pas une excitation sexuelle suffisante pour jouir |
Particularités de la pratique masturbatoire– Masturbation fréquente et intensive – Une technique spéciale de masturbation – Décalage fantasmatique intense pendant la masturbation et faible dans le sexe avec partenaire |
Th n°3 : Apfelbaum (5) | Th n°4 : psychodynamique (6), (7) |
Trouble du désir masqué par la dysfonction éjaculatoire– Préférence pour l’auto-érotisme que le sexe avec partenaire (ils s’excitent jusqu’à l’orgasme dans leur propre stimulation alors que celle de leur partenaire les inhibe) – Sensation d’insensibilité pénienne avec la décroissance de l’excitation – Pensées fixées sur la satisfaction de la partenaire – Erections déconnectées de l’excitation sexuelle |
L’ER est le symptôme d’un conflit psychiqueConflits décrits dans la littérature– Peur de faire du mal aux organes génitaux de la femme – peur que l’éjaculation n’offense la partenaire – peur de souiller la partenaire – Réticence à se donner – Peur de féconder – Honte venant d’une éducation religieuse très stricte |
Tableau 2 : Stratégies thérapeutiques pour chaque théorie
Th n°1 : Bancroft et Masters et Johnson (1),(2) | Th n°2 : Perelman (3),(4) |
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Stimulation/excitation sexuelle insuffisante– Utilisation d’un vibromasseur pour augmenter les sensations péniennes – Amélioration de l’excitation mentale – Exigence de poussées pelviennes |
Particularités de la pratique masturbatoire– Plan de reconversion de la masturbation – Travail sur l’utilisation des fantasmes sexuels |
Th n°3 : Apfelbaum (5) | Th n°4 : psychodynamique (6), (7) |
Trouble du désir masqué par la dysfonction éjaculatoire– Sortir le patient du déni face à la faiblesse de son excitation sexuelle dans la relation avec partenaire – Changement de la préférence sexuelle seul vers relation avec partenaire – Diminuer l’obsessionalité vers le plaisir à donner à la partenaire – Utilisation du sensate focus pour traiter la forte anxiété de performance |
L’ER est le symptôme d’un conflit psychique– Psychothérapie focusée sur le type de conflit psychique mis en relief – Sensate Focus |
Conclusion et analyse personnelle.
Ce très beau travail sur la prise en charge d’un symptôme complexe à traiter met en évidence plus de lacunes dans nos connaissances que de certitudes et le temps d’un consensus n’est pas encore présent. Il est temps d’avoir une définition basée sur des preuves de l’ER. Cependant, cette mise en perspective des abords psycho-sexologiques théoriques et thérapeutiques nous parle dès lors que nous y associons les tableaux cliniques de patients rencontrés dans notre pratique quotidienne. Du reste, les plus motivés peuvent également trouver dans cet article des cas cliniques illustrant chaque théorie et chaque traitement Cette approche du diagnostic et du traitement psycho-sexologique de l’ER est très précieuse pour tout praticien souvent démuni devant ce symptôme très délétère pour les patients atteints et leur couple.
- (1) Masters W, Johnson V. Human Sexual Inadequacy. Little, Brown: Boston, 1970.
- (2) Bancroft J. 3rd edn. Churchill Livingstone: Edinburgh, 2008.
- (3) Perelman MA, Rowland DL. Retarded ejaculation. World J Urol 2006; 24: 645 — 652.
- (4) Perelman MA. Idiosyncratic masturbation patterns: a key unexplored variable in the treatment of retarded ejaculation by the practicing urologist. J Urol 2005; 173: 340.
- (5) Apfelbaum B. The diagnosis and treatment of retarded ejaculation. In: Leiblum S, Rosen R (eds). Principles and Practice of Sex Therapy: Update for the 1990s. Guilford Press: New York, 1989, pp 168 — 206.
- (6) Alexander F. Psychosomatic medicine. Norton: New York, 1950.
- (7) Ovesey L, Meyers H. Retarded ejaculation. Psychodynamics and psychotherapy.
- Am J Psychother 1968; 22: 185 — 201.