Analysé par Alain Giami PhD, Le Kremlin-Bicêtre, France
Directeur de recherche Inserm, Equipe : « Genre, Santé sexuelle et reproductive » Inserm/CESP U 1018
D’après l’article : Sexlessness among Married Chinese Adults in Hong Kong: Prevalence and Associated Factors.jJean H. Kim, Joseph Tak-Fai Lau, and Ka-Kin Cheuk, MPhil School of Public Health, The Chinese University of Hong Kong, Journal of Sexual Medecine 2009 ; 6:2997–3007
Cet article rend compte d’une enquête menée parmi la population générale de Hong Kong sur l’absence de relations sexuelles au sein des couples, un phénomène dont la prévalence augmenterait rapidement selon plusieurs enquêtes menées en Asie, alors que l’absence de vie sexuelle tend aujourd’hui à être considérée par les médias comme une situation malsaine, qui serait corrélée à une maladaptation sociale, une santé mentale déficiente ou des problèmes relationnels de longue durée dans le couple.
L’enquête a été menée par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de 2,846 hommes et femmes mariés âgés de 25 à 59 ans. Le projet des auteurs est fondé sur le constat selon lequel il existe peu de données qui ont pris en compte simultanément les facteurs socio-démographiques, physiologiques et le style de vie pouvant expliquer l’absence de relations sexuelles au sein du mariage. Les auteurs appartiennent à l’Ecole de Santé publique de l’Université Chinoise de Hong Kong et n’ont pas déclaré de conflit d’intérêt.
Les principaux résultats de cette enquête font apparaître une augmentation de l’absence de relations sexuelles avec l’âge et une différence de genre dans cette prévalence et dans son augmentation progressive.
Pour les hommes, l’absence de relations sexuelles au sein du mariage concerne 5.5 % des 25-34 ans, 5.1 %, des 35-44 ans et 17.0 % des 45-59 ans. Pour les femmes, ces chiffres sont plus élevés, et ce dans chaque tranche d’âge étudiée : 8,3 % des 25-34 ans, 12,4 % des 35-44 ans et 31,6% des 45-59 ans. Il est intéressant d’observer que les écarts entre les hommes et les femmes se creusent et augmentent en même temps que l’augmentation plus forte de l’absence de relations sexuelles chez les femmes.
Les facteurs associés à l’absence de relations sexuelles sont différents chez les femmes et les hommes. Pour les femmes, l’âge et la mauvaise qualité de la relation conjugale et par ailleurs, une mauvaise santé mentale, une moins bonne qualité de vie et le fait d’être inquiète de l’absence de partenaire sexuel sont les principaux facteurs mentionnés. L’absence d’intérêt pour la sexualité, l’âge, un faible niveau d’éducation constituent les principaux facteurs associés à l’absence de relations sexuelles chez les hommes.
Les auteurs observent en conclusion que l’absence de relations sexuelles apparaît beaucoup plus corrélée à des symptômes psycho-sociaux chez les femmes que chez les hommes, d’où ils en déduisent que les hommes doivent combler cette absence par des relations extra-conjugales.
Cet article présente un important problème méthodologique concernant la mesure de l’activité sexuelle et la déduction de son absence au cours de la dernière année. Les auteurs rapportent tout d’abord qu’ils ont utilisé une technique d’interview assistée par ordinateur dans laquelle les questions sont posées par un automate vocal et où le répondant n’a qu’à appuyer sur les touches correspondant à ses réponses. Il s’agit d’une méthode connue et qui a été validée à plusieurs occasions. Malgré ces précautions mises en œuvre afin d ‘éviter tout contact entre les enquêteurs et les répondants sur des « questions sensibles », les auteurs n’ont pas posé de questions directes sur l’activité sexuelle conjugale ni sur l’activité sexuelle extra-conjugale. Les auteurs justifient cette mesure par le souci de ne pas diminuer le taux de réponse à l’enquête en posant des questions sensibles ou potentiellement gènantes. Ce problème méthodologique fait en fait apparaître une dimension culturelle importante de la communication sur la sexualité, puisque les chercheurs ne sont pas sentis autorisés à poser des questions simples sur l’activité sexuelle conjugale (ou extra-conjugale) alors que de telles questions ont été posées dans la majorité des études réalisées à travers le monde et y compris en Chine. L’absence de questions sur l’activité sexuelle conjugale est d’autant plus surprenante qu’il s’agit de la partie la plus légitime de l’activité sexuelle et elle a pour conséquence d’affaiblir la validité globale des résultats discutés dans l’article
Ce travail confirme des constats déjà établis dans d’autres pays à l’aide d’enquêtes en population générale. Il confirme notamment la différence entre les réponses des hommes et celles des femmes qui semble presque universelle : les hommes déclarant toujours plus de partenaires sexuels et des fréquences d’activité sexuelle plus élevées que celles des femmes, mais surtout une longévité sexuelle plus longue que celle des femmes, probablement liée à la poursuite de la vie en couple à des âges avancés – ce qui n’est pas le cas des femmes. Dans ce sens, les résultats de Hong Kong qui font apparaître une plus forte proportion de femmes sans activité sexuelle – y compris au sein du mariage – apparaissent plus proches de la situation américaine que de la situation française (Gagnon, Giami, Michaels, de Colomby, 2001). Compte tenu des problèmes psycho-sociaux associés à l’absence de relations sexuelles, les femmes apparaissent comme les grandes perdantes du mariage à Hong Kong : absence plus forte de relations sexuelles et problèmes psycho-sociaux et de santé mentale associés à cette absence.
Cette étude s’inscrit par ailleurs dans le courant de la santé sexuelle qui considère que l’absence de relations sexuelles est associée à des problèmes de santé, et pourrait même être un des facteurs qui influencent ces problèmes de santé, et notamment les problèmes de santé mentale. Dans cette perspective, la vie sexuelle, et a fortiori la vie sexuelle au sein du mariage, est considérée comme une activité naturelle, dont on s’interroge seulement sur l’absence et pas sur la présence. D’autres enquêtes ont évoqué la diminution de la fréquence et de la pratique des relations sexuelles, mais ont tenté d’y répondre à l’aide d’autres arguments que des arguments de santé. Ainsi dans l’enquête ACSF de 1993, on avait observé une diminution de la fréquence de l’activité sexuelle liée à l’âge. Mais l’âge n’était pas le seul facteur en cause : la durée de la relation était apparue comme un facteur associé à cette diminution (les hommes et les femmes de plus de quarante ans, engagés dans une nouvelle union retrouvent des taux et des fréquence d’activité sexuelle équivalents à ceux de leurs homologues de 25 ans). La nouveauté de la relation semble ainsi pouvoir diminuer l’influence de l’âge sur la fréquence de l’activité sexuelle (Bajos, Bozon, Ferrand, Giami, Spira,,1998). Or l’étude de Kim et coll n’a posé aucune question sur l’attractivité du partenaire qui pourrait constituer un des facteurs permettant de différencier les couples dans lesquels une activité sexuelle continue à se poursuivre au fil du temps.
Par ailleurs, les auteurs considèrent sur la base d’informations extraites d’autres sources que leur propre enquête (et notamment des sources cliniques) que les hommes mariés constituent un contingent de plus de 80% de toutes les relations extra-conjugales observées en pratique clinique. Cette proportion apparaît beaucoup plus élevée que celle des femmes. Ce résultat apparaît incohérent avec l’un des résultats de l’enquête qui associe l’absence de relations sexuelles conjugales chez les hommes avec une absence d’intérêt pour le sexe. Ce facteur, qui apparaît comme une dimension très significative (statistiquement) dans l’explication de l’absence de relations sexuelles chez les hommes, apparaît contradictoire avec le fait que ces mêmes hommes auraient des relations sexuelles extra-conjugales. Par ailleurs, avec les données sur lesquelles s’appuie cette hypothèse, on ne sait pas si les hommes qui ont des relations extra-conjugales sont les mêmes que ceux qui déclarent ne pas avoir de relations sexuelles conjugales… L’un n’exclut pas l’autre …
Si ce résultat était validé, il faudrait considérer que pour les Chinois de Hong Kong, le mariage n’est pas le lieu naturel, ni le seul lieu de la vie sexuelle… au moins en ce qui concerne les hommes, qui auraient plus de possibilité que les femmes à avoir des relations sexuelles extra-conjugales, et ainsi à dissocier leur vie sexuelle de la vie conjugale. L’absence de relations sexuelles au sein des couples mariés pourrait ainsi être pensée plus comme un problème culturel que comme un problème de santé, même si il a des conséquences certaines sur l’état de santé mentale des femmes. Mais ne dramatisons rien, l’absence de relations ne concerne que moins de 10% des hommes et moins de 20% des femmes mariées de Hong Kong…
Bajos, N. Bozon, M., Ferrand, A. Giami, A. & Spira, A. (Eds.), La sexualité aux temps du sida. (pp. 35-61). Paris, P.U.F., 1998.
Gagnon, J., Giami, A., Michaels, S., & de Colomby, P. (2001). A Comparative Study of the Couple in the Social Organization of Sexuality in France and the United States. Journal of Sex Research 38(2), 24-34.