Epidémiologie: Chez les diabétiques, la Dysfonction Erectile …

Chez les diabétiques, la Dysfonction Erectile (DE) est prédictive d’évènements cardio-vasculaires sérieux (coronariens, vasculaires cérébraux) dans les 5 ans

Chez les diabétiques, la Dysfonction Erectile (DE) est prédictive d’évènements cardio-vasculaires sérieuxAnalyse par les Drs Christophe BONNIN, Nice, France et Patrick BOUILLY, Cergy-Pontoise, France

De l’article de Batty DG, Li Q, Czernichow S, Neal B, Zoungas S, Huxley R, Patel A, E. de Galan B, Woodward M, Hamet P, Harrap SB, Poulte N, Chalmers C, on behalf of the ADVANCE Collaborative Group. Erectile Dysfunction and later cardiovascular disease in men with type 2 diabetes. Prospective cohort study based on the ADVANCE (Action in Diabetes and Vascular Disease: Preterax and Diamicron Modified-Release Controlled Evaluation) Trial. Journal of the American College of Cardiology 2010;l56:1908-13

Contexte

La prévalence de la Dysfonction Erectile (DE), est particulièrement élevée chez les patients diabétiques, jusqu’à 80% dans certaines études.

L’étude internationale ADVANCE (Action in Diabetes and Vascular Disease : Preterax and Diamicron Modified-Release Controlled Evaluation) avait pour objectif de comparer un contrôle traditionnel de la glycémie (objectif d’HbA1C entre 7 et 7.9%) avec un contrôle intensif (objectif d’HbA1C < ou = 6.5%) par le glicazide à libération modifiée.

ADVANCE avait montré que le contrôle intensif de la glycémie permettait de réduire de 10% les évènements combinés majeurs (macro et microvasculaires) et les évènements microvasculaires majeurs en relation avec une diminution des néphropathies (OR = 0.79), mais n’avait pas permis de montrer de réduction des évènements macrovasculaires majeurs, ni de modification de la mortalité CV et de la mortalité toutes causes confondues.

Le travail présenté par Batty et al a repris la cohorte masculine de l’étude ADVANCE, incluant 6304 patients (sur 11140 hommes et femmes) entre 2001 et 2003, d’âge moyen 64.8 ans, ayant un diabète de type II associé à un antécédent d’évènement cardiovasculaire (ECV) ou de microangiopathie majeurs ou encore associé à au moins un autre facteur de risque cardiovasculaire.

Les antécédents d’ECV majeurs incluaient l’IDM, l’AVC, l’AIT, une hospitalisation pour angor instable, la revascularisation coronaire, la revascularisation ou l’amputation d’un membre inférieur. Les antécédents de microangiopathies majeures incluaient la macroalbuminurie (albuminurie / créatininurie > 300 µg/mg), la rétinopathie proliférative, la photocoagulation pour rétinopathie, l’œdème maculaire ou la cécité monoculaire de cause diabétique.

Les fonctions cognitives des patients étaient évaluées à l’aide du MMSE (Mini-Mental State Examination). Une diminution des fonctions cognitives était définie par une réduction du score d’au moins 3 points.

L’existence d’une dépression ou d’anxiété était recherchée à l’aide du score EQ-5D.

L’objectif de l’analyse était de savoir si la présence d’une dysfonction érectile (DE) à l’entrée dans l’étude était prédictive d’un ou de plusieurs des évènements cliniques.

Le diagnostic de dysfonction érectile était réalisé sur une simple question (réponse : oui ou non).

Les patients étaient suivis en moyenne 5 ans à la recherche d’évènement coronaire ou cérébro-vasculaire fatal et non fatal, de démence ou de diminution des fonctions cognitives. Un évènement coronaire était défini par : décès d’origine coronaire incluant la mort subite, infarctus non fatal, ischémie silencieuse, revascularisation coronaire, hospitalisation pour angor instable.

Un évènement cérébro-vasculaire était défini par : décès d’origine cérébro-vasculaire, AVC non fatal, AIT, hémorragie sous-arachnoïdienne.

Deux années après l’entrée dans l’étude, il était demandé à tous les patients qui n’avaient eu aucun évènement au cours de cette période (n = 5427), s’ils conservaient ou non une DE (présence d’une DE à l’entrée dans l’étude) ou si une DE était apparue depuis (absence de DE à l’entrée dans l’étude).

L’objectif des auteurs était de savoir si l’apparition d’une DE au cours des deux premières années était prédictive d’évènement cardio-vasculaires à 5 ans.

Résultats

3158 des 6304 patients avaient une DE à l’entrée dans l’étude (50%).

Les patients ayant une DE étaient statistiquement plus âgés, de poids plus élevé et étaient plus sujets à une altération des fonctions cognitives. Ils étaient en revanche moins tabagiques, avaient un taux de cholestérol total et une pression artérielle diastolique moins élevés.

Au cours des 5 années de suivi, furent relevés 695 décès de toute cause, 1579 évènements cardiovasculaires fatals ou non, 773 évènements coronaires fatals ou non, 411 évènements cérébro-vasculaires fatals ou non, 58 cas de démence et 1013 cas de baisse des fonctions cognitives.

En analyse multivariéel’existence d’une DE à l’entrée dans l’étude était associée à une augmentation significative des ECV (OR = 1.19, IC 1.08-1.32), des évènements coronaires (OR = 1.35, IC 1.16-1.56) et des évènements cérébro-vasculaires (OR = 1.36, IC 1.11-1.67).

Il n’y avait en revanche pas d’association avec la mortalité totale (OR = 1.16, IC 0.99-1.35), ni avec la démence ou la baisse des fonctions cognitives.

Par ailleurs, parmi les patients qui n’avaient présenté encore aucun évènement à 2 ans, l’association avec la survenue à 5 ans d’ECV (coronaires, cérébro-vasculaires) était significative et statistiquement la plus forte ) chez ceux qui avaient une DE à l’entrée et la conservaient à 2 ans (NB : pour la mortalité totale, OR = 1.29, IC 1.00-1.66).

Discussion et commentaires

Cette étude montre le caractère prédictif d’évènement CV de la DE sur une très large population de patients (n = 6304), déjà mis en évidence dans plusieurs plus petites études reprises dans la méta-analyse de Guo (1).

La méta-analyse de Guo concernait des patients non diabétiques et avait montré que le risque relatif (RR) d’ECV en présence de DE était de 1.47 par rapport à l’absence de DE.

Concernant le caractère prédictif d’AVC, les résultats sont ici intéressants dans la mesure où peu d’études sont disponibles, comme le soulignent les auteurs.

En 2005, Ponholzer avaient calculé qu’une DE modérée à sévère augmentait de 43% le risque relatif d’AVC à 10 ans dans une cohorte de 2561 patients (2), mais dans la même cohorte suivie 6.5 ans, la DE n’apparaissait pas comme prédictive d’évènements cardiaques ou cérébro-vasculaires, l’âge moyen peu élevé des patients (45 ans) étant avancée comme explication (3).

Dans la Krimpen Study qui concernait 1248 patients d’âge moyen 60 ans, la présence d’une DE multipliait à 6.3 ans le risque d’ECV par 1.6 (2.6 en cas de DE sévère), mais le risque d’AVC n’y était pas individualisé (4).

Batty et al font le parallèle avec la Prostate Cancer Prevention Trial, dans laquelle l’apparition d’une DE au cours des 5 années du suivi était associée à une augmentation du risque d’ECV de 25% (5).

Néanmoins, dans cette étude, le seuil de significativité n’était atteint que pour les critères angor et angor ou infarctus du myocarde, et le risque d’AVC était seulement suggéré (OR = 1.70, IC 0.98-2.96, p = 0.06).

Dans une étude de cohorte plus récente de Chung et al ayant inclus 9006 patients d’âge moyen 58.5 ans et suivis également 5 années, la présence d’une DE augmentait le risque d’AVC de 1.29 et de 1.36 si celle-ci avait une origine organique (6).

Les auteurs précisent que la prise en compte de nombreuses variables d’ajustement et le faible nombre de patients perdus de vue (n = 103 soit 1.6%) rendent les résultats peu critiquables, même si tous les facteurs confondants peuvent ne pas avoir été éliminés.

La principale limite de cette étude reste le mode de diagnostic de la DE (une simple question) et l’absence de quantification de la sévérité de la DE, qu’aurait permis l’utilisation d’un questionnaire validé comme l’International Index of Erectile Dysfunction ou la réalisation d’un pharmaco-echodoppler pénien (PEDP).

Le caractère encore plus informatif de la présence et de la persistance de la DE au cours des deux premières années de l’étude n’était pas commentée, mais les auteurs concluaient que la DE est probablement plus un marqueur du risque cardio-vasculaire qu’un facteur de risque cardio-vasculaire.

Références

  1.  Guo W, Liao C, Zou Y, Li F, Li T, Zhou Q, Cao Y, Mao X. Erectile Dysfunction and Risk of Clinical Cardiovascular Events: A Meta-Analysis of Seven Cohort Studies.
    J. Sex. Med. 2010 ;7: 2805- 2816.
  2.  Ponholzer A et al. Is erectile dysfunction an indicator for increased risk of coronary heart disease and stroke?
    Eur Urol. 2005; 48: 512–518.
  3.  Ponholzer A, Gutjahr G, Temml C, Madersbacher S. Is erectile dysfunction a predictor of cardiovascular events or stroke? A prospective study using a validated questionnaire.
    I.J.I. R. 2010, 22: 25–29.
  4.  Schouten BWV, Bohnen AM, Bosch JLHR, et al. Erectile dysfunction prospectively associated with cardiovascular disease in the Dutch general population: results from the Krimpen Study.
    I.J.I.R. 2008 Jan-Feb; 20(1): 92-99.
  5.  Thompson IM et al. Erectile dysfunction and subsequent cardiovascular disease. JAMA. 2005; 294 (23): 2996-3002.
  6.  Chung SD, Chen YK, Lin HC, Lin HC. Increased Risk of Stroke among Men with Erectile Dysfunction: A Nationwide Population-based Study.
    J. Sex. Med. 2011, 8: 240–246.