Les orgasmes en quelques clefs

Béatrice Cuzin, Lyon

 

  • Définition

La définition de l’orgasme (du grec : ὀργασμός / orgasmós, de ὀργᾶν / orgân, « bouillonner d’ardeur ») est assez incertaine. La revue scientifique Clinical Psychology Review (en) recense ainsi 26 acceptions différentes, dont aucune n’est consensuelle [1]……..

 

  • Histoire évolutive

La recherche du plaisir sexuel ne serait pas l’apanage de l’espèce humaine, l’orgasme serait apparu chez nos lointains ancêtres il y a des centaines de millions d’années….. Les biologistes estiment qu’il a évolué à travers trois stades durant la transition de la fécondation externe à la fécondation interne et à la viviparité. Dans tous les cas, le plaisir aurait eu un rôle évolutif car l’orgasme a naturellement un effet de renforcement comportemental des activités sexuelles et reproductrices [2].

 

  • Orgasme et Société occidentale

Si l’on s’interroge sur son apparition dans l’histoire occidentale, on peut sans doute considérer que la formule « la fonction crée l’orgasme » est certes lapidaire, mais pas très éloignée de la réalité [3].

 

Dans l’antiquité romaine, tous les corps n’étaient pas disponibles et l’inégalité en matière de sexualité était une règle sociétale. En théorie, la marge de manoeuvre de chacun sur le terrain des jeux érotiques était définie par son rang et son sexe. Au sommet de la hiérarchie sociale, le citoyen mâle dominant-pénétrant recherchait prioritairement son plaisir en possédant le corps d’un ou d’une autre, par étapes, car la séduction était un jeu stratégique aux antipodes de la contrainte. Les Romains envisageaient une gradation du désir et du plaisir à travers la façon de toucher l’autre en public ou dans l’intimité [4]

 

Dans la langue française, l’orgasme apparait un peu avant l’aube du XVIIe siècle, mais a d’abord désigné des accès de colère avant d’être annexé par la science médicale qui s’en servira pour décrire des phénomènes d’irritation ou d’hystérie.

 

Dans son acception sexuelle, le mot orgasme a une « carrière » qui se jouera au XXe siècle. En effet, L’homme n’a jamais manqué de vocabulaire pour évoquer sa jouissance, mais la jouissance féminine, en revanche, occupe dans l’imaginaire une place plus insaisissable. Il existe une forte tentation de la calquer sur le modèle masculin, tel que l’imagine le marquis de Sade ou Sigmund Freud. En leur temps, les surréalistes ont indiqué la voie: il faut constituer l’orgasme en objet de savoir. Or, à cette époque encore ignorante de la sexologie moderne, seule la psychanalyse naissante était bien placée pour cela, si Sigmund Freud a peu contribué en réalité à la connaissance du plaisir féminin, Wilhelm Reich va devenir l’idole d’une génération révoltée qui rêve de «jouir sans entrave», la grande utopie des années 60 aura reposé sur une véritable «mystique des points culminants». La révolution et l’orgasme se ressemblent : refus de la grisaille ordinaire, des compromissions qu’elle exige, fantasme d’une existence vouée à l’intense, vécue comme une jouissance sans fin, une libération de toutes les chaînes entravant l’émergence d’un homme nouveau.  «La formule de l’orgasme est la formule même du vivant», disait Wilhelm Reich dont l’héritage se retrouve dans les idéologies de la libération sexuelle et au-delà de toute appartenance politique, dans la nébuleuse du « New Age » désireuse de se mettre au diapason de l’énergie cosmique, car l’orgasme devait accomplir le salut du corps social.

 

Puis arrive notre époque actuelle, du bien-être et de la science médicale, préconisant d’y penser, d’en surveiller la régularité, d’en mesurer l’intensité, d’en prendre soin comme de ses artères ou de son tour de taille, lui attribuant un rôle de remède spirituel. Il est préconisé de prendre rendez-vous auprès pour son l’anorgasmie, tenue pour une maladie dont il préférable de guérir, car jouir est un idéal de performance, un devoir, une obligation.

 

Comment échapper à cette contrainte pesant sur le plaisir ? Faudrait-il que les voies de l’extase empruntent désormais des stratégies paradoxales ? On pense à ce couple, dont parlait Woody Allen, qui connut son premier orgasme simultané à l’instant précis où le juge leur remit l’acte de divorce.

 

  • Clefs de compréhension pour le sexologue

Ces quelques considérations en étant passé du rôle de l’orgasme dans l’évolution et sa rapide évocation dans l’histoire de la société occidentale, nous amènent à notre métier de sexologue : la sexologie pouvant se présenter comme une science des plaisirs sexuels, science des orgasmes [5].

 

Le paradigme sexologique nécessite de penser les vécus des sexualités à travers leur fonction hédonique, d’après un modèle bio psycho social intégrant plusieurs dimensions, et il s’agit  également de penser la complexité des plaisirs sexuels comme l’organisation  d’éléments hétérogènes en interrelations complémentaires, concurrentes et antagonistes, comme observées par les sociologues.

 

Le sexologue, devra considérer dans son évaluation clinique tout ce qui caractérise les capacités à atteindre l’orgasme :

  • le fonctionnement du corps (biologie, physiologie, neuroanatomie)
  • les comportements
  • les contextes interindividuels
  • les fonctionnements psychologiques (représentations sociales intériorisées, émotions, cognitions, processus attentionnels et estime de soi)

 

Cette notion d’acquisition, de construction multidimensionnelle, est fondamentale pour considérer les vécus orgasmiques comme s’inscrivant dans des dynamiques processuelles. Dès lors, interroger l’orgasme – dans les pratiques cliniques comme scientifiques – aura pour but de tenter de comprendre si l’on a atteint – ou fait atteindre – l’orgasme. Cette précaution sémantique et théorique permettant de substituer à une approche statique, déterminant un objectif qui est ou non réalisé (avoir un orgasme, avoir « joui »), une approche dynamique, invitant à voir – et faire voir à nos patients – l’expérience sexuelle comme un processus où chaque sensation et émotion seront appréciées au fur et à mesure de leur développement, sans la pression d’une réalisation précise.

 

 

La prise en charge des difficultés orgasmiques reste difficile mais trouve une logique en considérant une approche intégrative basée sur les connaissances récentes : un modèle d’intégration neurophysiologique et central [6].

 

En effet si les modèles neurophysiologiques de l’orgasme semblaient opposer la perception cérébrale et la sensation périphérique, trois modèles neurophysiologiques ont été proposés pour expliquer l’orgasme : le modèle de Komisaruket Rodriguez del Cerro (2022) qui mise principalement sur les mécanismes cérébraux, le modèle de McKenna (2022) axé sur les mécanismes médullaires, et le modèle de Courtois (2014) axé sur les mécanismes médullaires et périphériques. Bien qu’aucune explication n’ait à ce jour recueilli de consensus, ces trois modèles ne sont pas nécessairement contradictoires et pourraient même être complémentaires pour expliquer l’ensemble des mécanismes neurophysiologiques de ce phénomène de paroxysme sexuel.

 

L’intérêt du dernier modèle (Courtois 2014) est d’intégrer les diverses manifestations neurophysiologiques de l’orgasme au-delà de ses composantes musculaires, et d’y intégrer des éléments des deux modèles précédents (Komisaruk et del Cerro, 2022 ; McKenna, 2022). Le modèle intégratif permet également d’ajouter un élément déclencheur (ignition) à l’orgasme, soit la hausse de tension artérielle (> 20 mmHg) qui définit et caractérise la dysréflexie autonome.

Les études en imagerie cérébrale ont montré que plusieurs structures cérébrales sont impliquées dans la régulation des comportements et des réflexes sexuels.

 

Les données disponibles s’accordent sur le fait que le plaisir intense et l’orgasme sont globalement associés à la libération de neuro-transmetteurs, incluant la dopamine (libérée par les régions de la substance noire, l’aire tegmentale ventrale, et la zone sous-thalamique de l’incerta) et la noradrénaline (libérée par le locus coeruleus du mésencéphale, l’aire médiane pré-optique de l’hypothalamus et le noyau accumbens), ainsi que les mélano-cortines (libérés par le noyau arqué de l’hypothalamus et le noyau accumbens) qui majorent l’activité dopaminergique, et l’oxytocine (libérée parle noyau paraventriculaire et supra-optique) qui stimule l’attachement affectif (Pfaus, 2009).

 

En conclusion

La prise en charge des troubles de l’orgasme nous laisse, en tant que sexologue un goût d’insatisfaction et d’inachevé, lié à une évaluation complexe et des outils insuffisants, en raison de modèles de compréhension incomplets. En effet, les modèles conceptuels de l’orgasme continuent de refléter une difficulté à intégrer les dimensions neuro-endocrino-physiologiques de l’orgasme avec ses dimensions psychoaffectives et perceptuelles Des travaux futurs gagneraient à investiguer davantage les dimensions psycho perceptuelles de l’orgasme et du plaisir [7]. En pratique clinique, l’éjaculation rapide ou retardée se superpose le plus souvent avec les troubles de l’orgasmes, chez l’homme. Chez la femme, ils sont souvent associés avec d’autres troubles sexuels et malgré de nombreux textes de recommandations ne permettent pas toujours d’apporter une réponse suffisante à nos patients [8,9, 10].

 

1 Mah K, Binik YM, « The nature of human orgasm: a critical review of major trends », Clinical Psychology Review, vol. 21, no 6,‎ août 2001, p. 823–56

 

2 https://www.larecherche.fr/%C3%A9volution/une-histoire-%C3%A9volutive-du-plaisir-sexuel#

 

3 (http://1libertaire.free.fr/Fonctionorgasme.html)

 

4 De la séduction à l’orgasme : sensualité du toucher chez les poètes latins du début de l’Empire [article] sem-link Virginie Girod GAIA. Revue interdisciplinaire sur la Grèce ancienne  Année 2017  20  pp. 95-105)

 

5 Gouvernet B., Courtois F., Adam F. La sexologie : science des plaisirs sexuels, science des orgasmes. Sexologies2023; 32(4): 233-236.

 

6 Courtois F, Gérard M, Grenier-Genest A. L’orgasme : un modèle d’intégrationneurophysiologique et central. Sexologies 2023 ; 32(4) : 301-312.

 

7 Gérard M, Courtois F. À la poursuite de l’orgasme et du plaisir : recensions desmodèles conceptuels, outils d’évaluation et pistes d’interventions psychopercéptuelles. Sexologies2023 ; 32(4) : 237-255. doi : 10.1684/sexol.2023.18

 

8 Huyghe E, Cuzin B, Grellet L, Faix A, Almont T, Burte C. Recommandations pour

le traitement de l’éjaculation prématurée [Recommendations for the treatment of

premature ejaculation]. Prog Urol. 2023 Apr;33(5):237-246.

 

9 Abdel-Hamid IA, Ali OI. Delayed Ejaculation: Pathophysiology, Diagnosis, and Treatment. World J Mens Health. 2018 Jan;36(1):22-40.

 

10 Giraldi A Orgasmic Disorders Clin Obstet Gynecol 2025;68:15–20